Accueil > Les ouvrages > Dominique, suivi de Épectases de Sollers (Collection Sprezzatura )


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ISBN : 978-2-493637-06-2
Nb de pages : 116
Dimensions : 140 x 220 mm
Date de parution : 30/05/2024





Stéphane Barsacq
Dominique, suivi de Épectases de Sollers
Collection Sprezzatura

Dominique Rolin est morte sur le seuil de sa centième année en 2012. […] Elle était d’une beauté, d’un éclat, d’un charisme rares, et, dotée du coup de baguette des fées, d’une extrême intelligence. Ses livres sur Bruges, Brueghel ou ses évocations du temps qui passe sont superbes, avec des pages d’une justesse cruelle. […] Elle cultivait le genre vieille dame indigne avec la plus parfaite inso- lence. […] Je me souviens de son injonction dite avec la plus grande fermeté, en décollant bien chaque mot : « Il faut se couper de tous les médiocres, de tout ce qui empêche d’être léger ou aérien. »



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portrait d’une femme

Les pages que vous tenez dans les mains ont leur origine dans trois temps distincts : les années 1950 et 1960, les années 2000, enfin le premier quart du XXIe siècle. Dans la première époque, il y a la rencontre entre mon grand-père, André Barsacq, et Dominique Rolin ; dans la deuxième, ma rencontre avec elle ; dans la dernière, mes relations avec le compagnon de Dominique Rolin. De fait, le Journal que je propose à la lecture a une histoire que je me dois d’éclaircir. En 1998, Dominique Rolin, à laquelle je rendais fréquemment visite, me déclara que je devais m’exercer à noter de mémoire tout ce qu’elle me disait, une fois revenu chez moi. Ainsi, m’expliqua-t-elle, je pourrais me faire la main, en vue de la publication de ce « livre ». Le temps passa. En 2011, comme Dominique Rolin allait sur ses 98 ans, je me décidai en avril à reprendre mes notes et à en composer un livre à vingt exemplaires hors commerce sur un beau papier afin de le lui offrir. Mon intention était double: lui faire plaisir et prévenir toute critique quant aux propos que je rapportais, car l’ouvrage ne serait pas posthume. J’en envoyai un exemplaire à Dominique Rolin, un autre à Philippe Sollers. Peu après, je rencontrai ce dernier sur le trottoir en face du Montalembert, à deux pas de son bureau aux Éditions Gallimard. Sollers me déclara tout de go : « Stéphane ! Votre livre ! Excellent ! Comme toujours ! Mais surtout qu’il ne circule pas ! » Cette phrase me donna à réfléchir : pourquoi donc fallait-il que mon livre ne circulât pas ? Un an plus tard, le 15 mai 2012, Dominique Rolin venait à mourir. En janvier 2013, Sollers faisait paraître Portraits de femmes, livre qui porte en partie sur Dominique Rolin. Je me suis demandé si mon livre n’avait pas été l’origine de celui de Sollers, à tout le moins, si son envoi n’avait pas correspondu avec l’écriture de Portraits de femmes ? Auquel cas, j’aurais aisément compris que Sollers veuille garder la primauté, Dominique Rolin ayant été la compagne de toute sa vie, celle qui avait été comme son double. Quelques années encore, et sa correspondance avec Dominique Rolin serait publiée in extenso en quatre volumes. Dans celle-ci, j’ai noté cette belle phrase d’elle : « Je pense à toi avec un émerveillement qui fait comme un point brillant à chaque minute. Nous avons réussi un coup double étonnant : amour-écriture. En réalité, nous nous aimécrivons, ou bien nous nous écrivaimons. Le renversement peut se faire en toute occasion. » Un ami de Sollers m’écrivit alors ne pas goûter la prose de cette nouvelle Mme Guyon pour ce nouveau Fénelon. Sinon charitable, du moins la formule était-elle amusante. Mais je repensais au sens de l’interdit, auquel je n’avais pas dérogé, par sens de la fidélité : peut-être la vraie raison était-elle ailleurs ? Sans doute Sollers voulait-il faire accroire, conformément au mythe qu’ils ont tous deux construit patiemment, qu’elle n’avait commencé à « vivre » que du moment où elle avait fait sa rencontre en 1958 ?

Or Dominique Rolin venait de très loin. De Belgique. D’une famille pour partie juive par sa grand-mère, Julia Mullem, ce qui ne l’avait pas empêchée d’être la maîtresse de Robert Denoël, l’éditeur de Céline ( mais aussi d’Artaud ) pendant la guerre, et même de porter un enfant de lui. Il ne fallait pas le dire, d’ailleurs, sans doute à raison, pour éviter tout malentendu, surtout que Dominique Rolin, à 98 ans, quand je fis mon livre, de son vivant , n’en avait aucun besoin. De même Sollers n’aimait guère qu’avant de le connaître, elle ait pu être courtisée par Maurice Blanchot et Julien Gracq. Dans son rejet de ces deux écrivains, le spectre de Dominique Rolin devait compter beaucoup. Et pourtant, Dominique Rolin les avait connus, en avait été aimée, comme elle avait semé le trouble chez nombre d’écrivains, de Paul Morand à Marcel Aymé, d’Albert Camus à Roger Nimier, de Jean Paulhan à Félicien Marceau, et jusque tard.
 

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À partir de 1956, elle prit l’habitude de venir passer ses vacances chez nous, en Bretagne, sur la petite île de Bréhat. Elle y était avec son mari, Bernard Milleret, l’ancien compagnon de Dominique Aury, future auteure d’Histoire d’O, entourée de ma mère et son frère, Michel, mais aussi de ma tante Elisabeth qui devait jouer dans son unique pièce de théâtre, L’Épouvantail. En 1957, Bernard Milleret, artiste de grand talent, venait à mourir, laissant Dominique Rolin veuve, sans grande ressource, avec une fille, Christine, née d’un premier mariage, et le sentiment terrible pour cette femme si sensible qu’un monde venait de finir après une vie qui avait été difficile. Dominique Rolin continua à venir chez nous à Paris et en Bretagne.

Mon grand-père monta sa pièce qui lui valut un succès, et une amitié qui durerait longtemps. La commission de la Société des auteurs présidée par Jean-Jacques Bernard Jean-Jacques Bernard qui fut arrêté le 12 décembre 1941 lors de la rafle dite « rafle des notables juifs », et dont le fils François-René, arrêté en 1944 dans le maquis du Tarn, fut déporté dans le camp de Mauthausen où il fut assassiné attribua le prix Lugné-Poe à L’Épouvantail. Ce que racontait la pièce ? Dans Le Monde, le 29 mars 1958, Dominique Rolin l’expliquait : « L’Épouvantail, c’est un bon titre, non ? Il est de Barsacq. Sans lui je n’aurais jamais écrit cette pièce. C’est ainsi que nous avons surnommé un père de quatre enfants terrorisant les siens dans l’espoir d’obtenir le divorce qui lui permettra d’épouser en secondes noces la jeune fille dont il s’est épris. Le faible, en réalité, c’est lui. Vaincu d’avance, il fera vite figure de bête traquée. » Six mois plus tard, Dominique Rolin, alors âgée de quarante-cinq ans, rencontrait Philippe Sollers, qui venait d’avoir vingt-deux ans. Commencerait alors un nouveau chapitre de sa très longue vie.
 

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C’était le précédent qui m’intéressait lors de nos rencontres, surtout que je voyais également Sollers avec lequel je déjeunais plusieurs fois par semaine et dont j’avais noté la hantise du passé. Sollers regardait au-devant, et au plus loin, en maître des métamorphoses. Devant moi, Dominique Rolin évoquait volontiers sa jeunesse belge, ses premiers maîtres, Jean Cocteau et Max Jacob, mais encore sa rencontre avec Robert Desnos, ou son travail de dessinatrice qui lui permit de gagner sa vie, grâce à une technique du dessin très assurée. Sa tante, l’écrivain Judith Cladel, n’avait-elle pas été la maîtresse de Rodin et celle de Maillol? Dominique Rolin avouait son amour pour les contes de Perrault et les sœurs Brontë. Elle ne dédaignait pas la Suze.

 

Incontestablement, il y eut dans son œuvre, un avant et après Sollers, ce que ses admirateurs lui ont amèrement reproché, comme Paul Morand (« Dominique Rolin s’enfonce dans le nouveau roman. Illisible, son Maintenant »). Après Le lit, en 1960, la romancière de l’angoisse est devenue la conteuse du bonheur – un bonheur conquis, préservé, à la fois secret et public ; l’émule de Strindberg et d’Anouilh est devenue, plus encore que du Nouveau roman, la romancière du Roman nouveau : un art fait de notations des états d’âme que rythme la musique des mots. Par elle-même, elle avait gardé une fraîcheur très remarquable. Elle irradiait de vie et de beauté. À mesure qu’elle a avancé en âge, Dominique Rolin n’a eu de cesse de revenir à l’enfance. J’ai été frappé de lire chez Sollers nombre de passages où il raconte tel ou tel épisode, généralement avec une jeune héroïne, passages qui m’avaient été racontés par Dominique Rolin: preuve du travail effectué par le romancier. Ces passages étaient des transpositions. Il serait plaisant d’établir une table de correspondances entre les deux écrivains : ce qu’écrit Dominique Rolin de Fragonard et ce qu’en écrit Sollers qui le lui doit ; ce qu’elle écrit de Louis-Ferdinand Céline, etc.

 

Au moment de conclure cette présentation que Philippe Bouvier et Fréderic Houdaer m’ont incité à écrire après qu’ils ont pris connaissance de mon petit livre de 2011, et je les en remercie, je veux terminer par une note. Dominique Rolin avait la passion des primitifs flamands, en raison de ses origines belges, mais aussi de son amour de la peinture et du dessin, appris à leur école. Le plus grand peintre flamand, Van Eyck, a peint, on le sait, La vierge du chancelier Rolin. Nous en avions parlé. Je n’ai pas manqué d’être frappé par ce signe. Sans doute, Dominique Rolin a-t-elle été conçue par anticipation dès la création de ce chef-d’œuvre.

Enfin, quand s’est posée la question du titre de ce livre, j’ai tenu à l’appeler simplement Dominique. Elle qui avait écrit Moi qui ne suis qu’amour en 1948, je l’appelais « Dominique ». Je n’oublie pas que Dominique est également le titre d’un roman d’amour d’un autre grand écrivain, peintre lui aussi, Fromentin. Comment d’ailleurs ne pas souscrire à ce qu’on y lit ? J’y retrouve ma chère Dominique par-delà la mort : « L’absence unit et désunit, elle rapproche aussi bien qu’elle divise, elle fait se souvenir, elle fait oublier ; elle relâche certains liens très solides, elle les tend et les éprouve au point de les briser; il y a des liaisons soi-disant indestructibles dans lesquelles elle fait d’irrémédiables avaries ; elle accumule des mondes d’indifférence sur des promesses de souvenirs éternels. Et puis d’un germe imperceptible, d’un lien inaperçu, d’un adieu, Madame, qui ne devait pas avoir de lendemain, elle compose, avec des riens, en les tissant je ne sais comment, une de ces trames vigoureuses sur lesquelles deux amitiés peuvent très bien se reposer pour le reste de leur vie, car ces attaches-là sont de toute durée. »
 

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* Dominique Rolin @archives Barsacq
** Dominique Rolin, André Barsacq, Élisabeth Barsacq, Félicien Marceau en bateau sur l’île de Bréhat @Katherine Barsacq
*** Stéphane Barsacq et Philippe Sollers @Paul Delort
**** Dédicace de Dominique Rolin à Stéphane Barsacq



Né en 1972, Stéphane Barsacq fait ses études secondaires au Lycée Condorcet à Paris, puis à l’Université Paris-IV. Il a travaillé comme Grand reporter pour la presse écrite et publié dans de nombreuses revues (Europe, Commentaire, Nunc, La Revue Deux Mondes).

Il a publié Johannes Brahms (Actes Sud), François d’Assise, La joie parfaite (Seuil), Simone Weil, Le ravissement de la raison (Seuil), Cioran, Ejaculations mystiques (Seuil), Rimbaud, Celui-là qui créera Dieu (Seuil), En présence d’Yves Bonnefoy (Corlevour) ainsi que de nombreuses études sur la poésie (Pierre de Ronsard, André Chénier, Charles Baudelaire, Edmond Jabès, etc.) Il est également l’auteur de trois livres d’aphorismes : Mystica, Météores et Solstices(Corlevour).

Son roman Le piano dans l’éducation des jeunes filles (Albin Michel) a reçu le prix Roland de Jouvenel décerné par l’Académie française en 2016.


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