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ISBN : 978-2-9569413-0-9
Nb de pages : 47
Dimensions : 140 x 220 mm





Jean-Pierre Léonardini
profils perdus d’Antoine Vitez
Collection champ libre

Antoine Vitez s’est éteint le 30 avril 1990. Il avait cinquante-neuf ans. Cela va faire trente ans et l’on dirait à peine que c’est hier. « C’est à n’y pas croire », ainsi que disait Aragon, dont il fut l’ami attentif après en avoir été le secrétaire. Voilà toute l’énigme de la cristallisation de la mémoire du temps passé. Pour ceux qui ont connu et aimé Antoine Vitez, la succession des années ne compte pas, mais il importe de ranimer la flamme de son souvenir pour les autres qui n’ont pas voix au chapitre, à plus forte raison si, de son vivant, ils n’étaient pas nés. C’est aujourd’hui le dessein de l’Association des Amis d’Antoine Vitez, présidée par sa fille Jeanne, pour qui il s’agit « d’interroger sa place dans le théâtre français et comment elle est perçue par les artistes d’aujourd’hui ».
Les pages qui suivent ont été écrites à chaud, sous le coup de l’émotion provoquée par la disparition foudroyante d’Antoine Vitez. C’était écrit dans l’urgence de la perte. Les éditions Messidor, qui n’existent plus, publiaient en septembre 1990 ces « Profils perdus d’Antoine Vitez » dans leur collection Libres propos. Les éditions Le Clos Jouve s’emparent à présent de ce texte, jadis composé dans l’immédiat. C’est peu dire que j’en suis touché.

Jean-Pierre Léonardini




 


La main qui ne tremble pas

Parler d'Antoine Vitez, quand on fut son ami et si peu après son « effacement fulgurant », c'est affronter une épreuve que Jean-Pierre Léonardini énonce d'emblée: « le chagrin est intact et la consolation impossible ». Plus loin, il évoque les amputés qui « souffrent du membre enlevé ». Il faut cependant essayer, figurer l'ami qui n'est plus, « d'un burin sec, d'une main qui ne tremble pas. Que le regard ne soit pas embué. » Une fois évité le piège de l'émotion qui brouille les lignes, guette un autre piège: celui de l'hagiographie. Ce petit livre n'y tombe pas davantage.

Il ne refoule pas pour autant l'admiration due à la trajectoire prématurément brisée d'un homme qui avait mis « toute sa vie dans l'art ». Il en décèle quelques motivations possibles : la prescience de la mort, l'héritage paternel d'un « oeil pointu », « d' une sorte d'instinct de classe pétri de dérision », l'inclination profonde d'un artiste qui peut-être fut « avant tout » poète, la haute exigence d'un esprit qui aurait souscrit à l'aphorisme de Monsieur Teste, chez Valéry (« La bêtise n'est pas mon fort ») et qui pourtant resta fasciné par la bêtise, comme Flaubert, Gogol ou le Maïakovski des Bains, sa troisième mise en scène. Au contraire de tel autre de ses pairs, « né coiffé, costaud, tout instinct, sorti d'une cuisse de Jupiter et oint par Dionysos », le génie de Vitez fut le fruit d'une longue patience que Jean-Pierre Léonardini, achevant le parallèle emprunté à la Naissance de la tragédie de Nietzsche, qualifie d' « apollinienne » : « le sens de la mesure, de l'harmonie, de la sérénité âprement conquise ».

L'enchantement, dans ce chapitre, c'est pour nous de revivre au concret, « comme dans un fauteuil » (de théâtre), les grandes mises en scène de Vitez. A des lecteurs de ce journal, habitués de sa chronique du lundi, il n'est pas nécessaire de vanter le style de l'auteur. On ne résiste quand même pas au plaisir de quelques citations. A propos du Soulier de satin : « Claudel c'est Sophocle baptisé, Shakespeare béni par le pape. » Sur Tombeau pour 500 000 soldats, de Guyotat, et la guerre d'Algérie: « Nous sommes confrontés au plus haut registre symbolique, face à une épaisse couche d'enfer qui serait l'Histoire inscrivant, sur la viande humaine, de sanglants hiéroglyphes. » Ou sur le vieux Faust, comme une larme écrasée : « Antoine rêve là le vieillard que par la force des choses il ne deviendra pas. »

Remarquable aussi la culture qui s'exprime sans ostentation, par des rapprochements d'une rare intelligence, qui révèlent une méthode : Iphigénie-Hôtel, de Vinaver, du Labiche exaspéré sur les ruines d'Eschyle ; dans l'École des Femmes vue par Vitez nous sommes près de l'Éternel mari de Dostoïevsky, pas moins ; dans son Tartuffe, il s'oriente vers l'Étrange visiteur, à la manière du Théorème de Pasolini ; ou encore Hamlet, avec cette allusion à une polémique stendhalienne : Dans le débat sur Racine et Shakespeare, Vitez campe sur les positions du génie français. Il lance à la volée des caillots de passion sur une épure, mais c'est la raison, « in fine », qui mène le bal.

En Vitez, Jean-Pierre Léonardini voit un artiste qui sait faire naître l'émotion ( Je ne pleure plus au théâtre. A la longue on s'endurcit. J'ai pleuré à Electre. ) et aussi un penseur qui, dans son travail même, réfléchit sur la politique et l'Histoire. Comment représenter Britannicus, Bérénice, en évitant de penser l'État, et ses « raisons » ? La rencontre avec le marxisme était inévitable. Vitez ne l'a pas esquivée. Marxiste il s'est voulu, marxiste il a été. Cela n'a pas rétréci sa vision, au contraire. Sa passion pour Claudel en témoigne. Car le marxisme (celui de Marx) n'est pas réducteur. Vitez fut fidèle à son inspiration profonde: « Artiste, il n'en finit pas d'interpréter le monde dans l'espoir têtu, mais non dupe, de la changer. » Une autre rencontre était inévitable, celle du Parti communiste. Vitez ne l'a pas non plus esquivée. Dans un passionnant chapitre, « Du pari de Pascal après 1917 », Jean- Pierre Léonardini, avec autant de délicatesse que de fermeté généreuse, retrace l'odyssée du communiste Vitez, marquée par les tragédies de notre époque, et de sa génération. Il nous donne à réfléchir sur les raisons possibles d'une adhésion, d'une connivence, d'une loyauté lucide, d'une rupture ultime. Sa description interdit à la fois les récupérations fielleuses et les imputations basses. On comprend à le lire, à relire ce que vers la fin criait Antoine Vitez, que dans l'extrême douleur c'est à ceux qu'on aime qu'on porte les coups les plus désespérés. Ce petit livre est aussi une contribution, sans solennité ni pose, à notre réflexion politique.

Car le dernier mot revient à l'oeuvre. A ce « testament esthétique et politique » de Vitez que fut sa mise en scène du Galilée  de Brecht. Jouer Brecht en 1990 sur la scène de Paris la plus chargée d'histoire, alors qu'au même moment, à Berlin...! Etait-ce vraiment ne penser qu'à faire carrière ? Jean-Pierre Léonardini écrit à ce sujet, sur ce Galilée  brechtien revisité par Vitez, quelques pages qui, je crois, resteront et qui, entre autres, donnent la dimension d'un gouffre : celui qui s'est ouvert lors de la disparition du « maître ». Un maître au sens le plus haut du terme. « Pas un père ni un oncle. Il n'existe pas de mot précis pour dire orphelin de frère. »

Claude Prévost - l'Humanité - 8 septembre 1990


L'annonce de sa mort, le 30 avril 1990, à l'âge de 59 ans, a plongé le monde de la culture dans l’abattement. Vitez fut un metteur en scène d'exception, un professeur admiré, un grand directeur de théâtre. Il avait l'étoffe des plus grands.
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Les éditions Le Clos Jouve ont réédité, il y a quelques mois, un livre écrit à chaud après la disparition de Vitez, une longue épitaphe qui redonne chair et vie à cette épopée Vitez. Il se lit d’une traite, aborde l’homme de théâtre et l’homme politique sans détour, témoigne d’une connaissance réelle et d’une admiration sans bornes pour Vitez. C’est celui de Jean-Pierre Léonardini, Profils perdus d’Antoine Vitez, qui se pose en passeur de mémoire et de réflexion.

Marie-José Sirach - l'Humanité - 13 Juillet 2020


Un livre, Profils perdus d'Antoine Vitez, de Jean-Pierre Léonardini, éditions Le Clos Jouve (49' 30").

Armelle Héliot - Festival d'Avignon : Souvenir de la cour d'honneur - Le Masque et la Plume - France Inter - Juillet 2020


Dans les dernières lignes de son dernier roman, Encre sympathique, Patrick Modiano écrit : « On n’oublie jamais les passagers de ces cars d’été et d’hiver que l’on prenait en d’autres temps. Et si l’on croyait les avoir oubliés, il suffisait de se retrouver un jour avec eux, côte à côte, et d'observer leur visage de profil, pour se les rappeler. » Dans le dénuement lumineux du dénouement, ces deux phrases jouent un rôle décisif ; elles ont, aussi, rencontré la reparution, réparation bien venue trente ans plus tard, de Profils perdus d’Antoine Vitez.
L’ouvrage modeste en volume, avait paru aux éditions Messidor, dans la collection Libres propos.
Cette liberté de propos, et de ton, on ne peut s’étonner de la trouver, trente ans plus tard, dans un état de fraîcheur que seul peut expliquer l’immense tenue d’Antoine Vitez et la grande acuité du regard, bienveillant et sans concession, que porte sur lui Jean-Pierre Léonardini.

Puisque la lecture-relecture de Profils perdu d’Antoine Vitez nous est cette année proposée, jetons-nous dans le vif. Au cœur de ces vies d’une intense richesse, l’art théâtral est trop éphémère pour que nous puissions le laisser filer quand un instant il est arrêté dans la grâce de l’écriture.

Vincent Taconet - Revue Faites Entrer l’Infini - Juin 2020


L’autre profil de l’artiste, cette autre face de la « médaille » que Léonardini s’est proposée de frapper, c’est bien celui de l’homme politique, convaincu de la nécessité d’un théâtre « violemment polémique », capable de faire bouger les lignes de la société dans son ensemble, ancré dans la banlieue rouge d’Ivry tout autant que dans les grands théâtres parisiens (à Chaillot puis au Français). La parole du deuil qu’est celle de Léonardini, née dans l’émotion de la perte, résonne trente ans plus tard avec autant de force et d’engagement. Nous parvient alors une multiplicité de fragments d’un monde théâtral quasi disparu, mais que la plume du critique parvient à ranimer par éclats saisissants, dressant une stèle de mots à l’un des plus grands metteurs en scène français du XXe siècle.

Noémie Regnaut - I/O La Gazette des Festivals - Mars 2020


Les pages qui suivent ont été écrites à chaud, sous le coup de l’émotion provoquée par la disparition foudroyante d’Antoine Vitez. C’était écrit dans l’urgence de la perte. Titulaire d’une écriture élégante et littéraire, Jean-Pierre Léonardini dresse un portrait vif et précis du grand metteur en scène, acteur et poète, sans oublier ses relations – essentielles – avec le Parti communiste. Passionnant.

Philippe Lacoche - Le Courrier Picard - Février 2020


Le chagrin est intact et la consolation impossible, écrit Jean-Pierre Léonardini dans ses Profils perdus d’Antoine Vitez. Paru sous le coup de l’émotion provoquée par la disparition foudroyante en 1990, il y a trente ans déjà, du metteur en scène, poète et photographe, le recueil est bienheureusement réédité au Clos Jouve, une jeune maison d’édition nouvellement créée à Lyon, sur les pentes du quartier de la Croix-Rousse. À peine une cinquantaine de pages, certes, pourtant d’une sensible émotion contenue et d’une puissante évocation créatrice…

Yonnel Liégeois - Chantiers de Culture - Janvier 2020



Vidéo : Antoine Vitez, homme de théâtre (table ronde du 21 octobre 2018)

Les Déchargeurs proposent, en partenariat avec l'Association des Amis d'Antoine Vitez, un premier débat modéré par Jean-Pierre Léonardini, avec Jeanne et Marie Vitez, Philippe Girard, Pierre Laville, Daniel Martin. A travers l’oeuvre majeure qu’est Le Soulier de satin, nous abordons, le temps de cet échange, la construction de l’objet théâtral au travers, entre autres, de sa relation avec l’interprète, « l’outil » de l’artisan – Antoine Vitez. Par cette introspection, nous tenterons de mettre des mots sur « l’identité artistique » d’Antoine Vitez. En parallèle de la projection du film du Soulier de satin, j’ai tenu à réunir quelques-uns des visages du Soulier, accompagnés par un autre homme de théâtre, auteur, metteur en scène, directeur de théâtre qui a contribué à la création de certaines des propositions d’Antoine Vitez.
Image: Cédric Bolusset